Manger local n’est plus une curiosité. Trois chefs parmi une panoplie d’adeptes des saveurs locales ont accepté de parler de leur cuisine.
Des coups de marteau résonnent dans le combiné, alors que je discute au téléphone avec Sébastien Houle, chef propriétaire chez sEb l’artisan culinaire à Mont-Tremblant. Des rénovations sont en cours? Non, non! en revanche, c’est le temps des carottes! Des carottes locales en plus! Facile de faire parler des chefs locavores de leur engagement envers les aliments d’ici.
Pas si vilains
Chez Les vilains garçons à Gatineau, on a réussi à réparer le camion qui avait « pété » la veille. Romain Riva, chef propriétaire, a maintenant le temps de me parler d’aliments locaux. Une évidence pour lui – le local –, bien antérieure à la naissance de cette mode, raconte-t-il. « En France, ma mère n’aurait jamais acheté des fraises au mois de septembre. » Au gré de cette conversation, les mots « saison » et « terroir » font facilement surface, comme l’écume sur le bouillon.
« Le terroir, c’est faire découvrir des produits spécifiques de ta région, mais c’est aussi plus que le goût de ton sol », dit Romain Riva. Pour illustrer son propos, il parle de LA tomate-cerise de la Ferme du Ruisseau Noir située dans la Petite-Nation à Ripon. Une fois qu’on y goûte, impossible de revenir en arrière. Pour expliquer son engouement, il parle de saveur et de culture biologique, et d’amitié bien cultivée. Un goût inimitable, pour une tomate unique.
« Donne-moi ce que la terre te donne », est le contrat que Les vilains garçons ont passé avec des maraîchers locaux. Ils paient à la semaine pour des fruits et légumes qu’ils ne choisissent pas. Ce qui nous amène à ce qu’ils nomment eux-mêmes une « première transgression » : ils n’ont pas de menu. Un challenge pour ces cuisiniers, mais aussi l’occasion de mettre en pratique leur agilité.
De nature curieuse
À Val-David, on a L’Épicurieux. Fanny Ducharme, chef propriétaire, n’hésite pas à qualifier son identité culinaire de « complètement terroir et de saison ». Puriste au point de ne pas utiliser d’huile d’olive? Non, pas « complètement » dans ce sens-là. Fanny Ducharme est une ancienne de la Cabane à sucre Au pied de cochon. Elle y a cuisiné des produits locaux en gros volume, alors lorsqu’est venu le temps d’ouvrir son propre restaurant certains réflexes étaient déjà installés.
« On utilise les produits de nos amis producteurs », résume-t-elle. En ce moment, Fanny Ducharme reçoit encore tomates, haricots et même concombres de chez Héritage du Jardin, une coopérative agricole du village voisin, où l’on étire apparemment la saison grâce à des serres. Ensuite, elle parle de la Récolte de la Rouge à Brébeuf, de Gourmet Sauvage à Saint-Faustin-Lac-Carré, de Gaspor à Saint-Jérôme, du Canard du Village à Saint-Pie. Le « local » est un concept qui s’étire, reconnaît-elle, mais on reste au Québec et surtout on respecte la saisonnalité.
Cuisiner local et de saison, c’est aussi une façon de s’exprimer. La voix de Fanny Ducharme s’anime lorsqu’elle parle de cette grande qualité qu’on décline à toutes les sauces chez L’Épicurieux : la créativité. On invente, on discute, on change les plats, on goûte. L’automne, comme toutes les autres saisons, apporte en cuisine les ingrédients d’un nouveau menu.
L’artisan du local
De retour chez sEb l’artisan culinaire. « Le local, ça fait depuis 15 ans qu’on le cuisine. Ça a toujours été dans l’ADN du resto », lance d’entrée de jeu le chef propriétaire Sébastien Houle par-dessus le chantier des carottes. Pendant une douzaine d’années, il était de l’organisation du marché public à Mont-Tremblant, une belle façon de rester à l’affût des saveurs de sa région.
« Sur le menu, on ne nomme pas chaque producteur. Ça devient trop aujourd’hui », dit-il. Quand même, il ne peut s’empêcher de parler de ces petites pommes de terre d’une « qualité inusitée » fournies par les fermiers de la Récolte de la Rouge de Brébeuf, du bison de la ferme Grand Duc de Lachute puis des Petits Oignons à Mont-Tremblant et des Jardins Vertige à La Conception. Ils nomment les producteurs par leur nom.
Pour Sébastien Houle, l’interprétation culinaire entre aussi en jeu lorsqu’on présente des aliments locaux. S’il a déjà servi des légumes sur de la terre comestible ou encore reproduit des roches de rivières, c’était justement pour créer l’atmosphère propice à cette dégustation des saveurs de sa région. Le diable est dans les détails, diront certains.
Au cours de ces discussions, les concepts de local, terroir et saison n’ont eu de cesse de se mêler, ou se plier devrais-je dire. Le résultat est un discours commun où l’humain et l’équilibre avec son milieu se croisent pour offrir des plats créatifs et respectueux. À l’heure du resserrement des mesures sanitaires, il ne faudrait pas oublier, du fond de nos tanières, que des restaurateurs mijotent encore nos saveurs locales.